Mohamed Bouazizi est mort il y a un an.
Son immolation, le 17 décembre 2010, avait marqué le début de l’insurrection qui allait déboucher sur le « printemps arabe », et finirait par emporter le dictateur Ben Ali, puis Moubarak, avant de se propager à la Libye, au Yémen, à la Syrie, etc.
Quelques mois après la chute de Ben Ali, plusieurs organisations membres du Conseil International du Forum Social Mondial organisaient une rencontre de solidarité avec les militants tunisiens – début avril 2011.
À l’invitation de l’une d’entre elles, j’ai pu y participer. Nous étions alors en plein bouclage du numéro de Mouvements sur le « printemps arabe ». En plus du suivi du projet d’un forum social mondial en Tunisie, je pensais faire un reportage photos, et le publier sur le site de la revue, au moment de la sortie du numéro, accompagné de portraits (écrits) de militant-e-s tunisien-ne-s.
Un « visite » dense, politiquement comme émotionnellement : quelques heures à peine à Tunis, avant de partir pour Kasserine, puis Gafsa et Sidi Bouzid, pour finir à la frontière libyenne, au camp de réfugiés de Ras Jedir.
Les passeports des réfugiés du camp de Ras Jedir
Gafsa, Sidi Bouzid et Kasserine : l’épicentre, comme on dit, de l’insurrection révolutionnaire. Les villes qui ont payé le tribut le plus lourd. En deux jours, 70 manifestants sont tombés à Kasserine. Des martyrs, assassinés par des policiers reconvertis en snipers… Des meurtres de sang froid, loin, très loin de ce que véhicule de l’imaginaire que véhicule l’idée d’une révolution ‘facebook’ ou ‘twitter’, d’un mouvement qui se serait déroulé derrière un écran, à coups de clics.
En arrivant, nous avons rencontré des jeunes diplômés en grève de la faim : sur la place centrale, ils ont affiché leurs CV et diplômes.
des chômeurs en grève de la faim à Kasserine
Nous enchaînons avec une rencontre avec les familles de martyrs : pères, mères, frères et soeurs qui nous montrent photos et rapports médicaux qui attestent des tirs, parfois à bout portants.
9 mois après, de ces photos, je n’ai jusqu’à présent rien fait, incapable de trouver une réponse convaincante à cette question : « à quoi bon ? », incapable de me poser comme « photographe », comme observateur extérieur, captant des émotions, des rencontres, des larmes, pour les diffuser hors de leur contexte.
à Sidi Bouzid
Entre temps, le président de la République (élu par l’Assemblée Constituante), Moncef Marzouki, s’est engagé à ce que justice soit faite. Il a également annoncé la création d’une structure chargée de prendre en charge l’encadrement des nombreux blessés de la révolution.
Corinne Kumar, l’une des organisatrices de la rencontre
Le projet de forum aboutira en juillet prochain, dans un Forum Social Maghreb/Mashreq en marge duquel devrait se tenir une assemblée globale d’indignés, d’occupy et de peuples en lutte contre les dictatures. Les forums sociaux se déroulent parfois « hors-sol », sans lien avec le contexte politique et social de la ville, de la région voire du pays qui les accueille. Un travers malheureusement assez récurrent, sans doute dû à leur institutionnalisation précoce. Mais, dans ce cas précis, on peut penser que les organisateurs parviendront à l’ancrer dans son contexte immédiat. Et à ne pas le couper des jeunes chômeurs de l’Ouest Tunisien, qui, en refusant l’indignité, ont enclenché le processus révolutionnaire et inspiré les Indignés du monde entier.