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Les raisons d’un forum
William Copeland est l’un des « employés » du Forum Social des États-Unis – ils sont un peu plus d’une douzaine, au total. Will fait partie des quelques salariés du forum basés sur place, dont le travail est (était) notamment d’animer la mobilisation locale. Il est né à Detroit, de parents venus des plantations de canne du Sud des États-Unis pour trouver des jours meilleurs, en se faisant embaucher dans l’industrie automobile.
Principalement blanche jusqu’à la grande dépression, Detroit s’est largement ouverte aux « peoples of color » et compte désormais 89% d’afro-américains. L’industrie automobile a largement embauché les travailleurs des plantations du Sud pour contrecarrer l’activités des ouvriers (polonais et italiens) très syndiqués, lors de la grande dépression. Le mouvement s’est accentué lorsque l’effort de guerre a débouché sur la conversion de l’industrie auto vers l’armement  (en quelques jours à peine – comme quoi convertir massivement une industrie est possible…), la ville devenant plus attractive encore.
Après guerre, la ville amorce son déclin. Les « blancs » vont alors quitter la ville, lentement d’abord, puis massivement après les émeutes de 1967 : fin juillet, des policiers font une descente dans un bar clandestin, et arrêtent 85 personnes, réunies pour fêter le retour de combattants sur le front du Vietnam (sur fond de mouvement anti-guerre, très répandu dans la communauté afro-américaine de Detroit). Un rassemblement s’organise rapidement devant le commissariat où les 85 sont gardés à vue, qui s’étend rapidement, et tourne au pillage des magasins alentours : expression du ras-le-bol des afro-américains devant la ségrégation raciale (les magasins pillés appartenait principalement à des blancs).
La condition ouvrière
Wendy est une ancienne ouvrière – chez Chrysler (automobile), Delphi et American Axles and Manifacturing – AAM (sous-traitants auto). Enseignante de français, elle est venue faire ses études en France, à Aix-en-Provence, juste après mai 68. Fille de militants (mouvement pour les droits civiques, mouvement anti-guerre – auquel elle a elle-même participé), elle y découvre le socialisme, en fréquentant les (rares) Aixois de la fac de droit qui adhèrent au PSU. De retour chez elle, à Chicago, elle décide, comme d’autres militants, de partir s’établir en usine. Pour elle, ce sera à Detroit. Le début d’une quarantaine d’années de luttes, de grèves, de campagnes et de turbin, dans une ville en plein bouleversements, dont les usines cherchent à tuer tout mouvement syndical offensif.
Les crises successives donnant de la force aux stratégies les plus anti-syndicales des managers et dirigeants (telle usine ferme pour réouvrir sans réembaucher les militants les plus actifs), les syndicats s’accommodent le plus souvent d’un rôle de subalterne qui accompagne les politiques patronales de réduction des salaires et de diminution des droits sociaux. Elle a donc participé à la création de « Labor Notes », pour construire des ponts entre mouvements sociaux et mouvement syndical. Labor notes (qui publie un mensuel) organise tous les 2/3 ans une conférence mondiale des militants syndicaux du monde entier (de Solidaires, par exemple, pour la France).
The balad of Nefertiti
En bons Marseillais, on a apprécié être logés dans un appartement situé à deux pas de la meilleure pizzeria de la ville – l’une des seules de Detroit (voire de tout le middle-west) dans laquelle on peut trouver un fond de pizza à la tomate ET à l’ail. Primordial. Un soir, nous y avons croisé Nefertiti, assise à la table d’à -côté. .
Dans son quartier, beaucoup de jardins communautaires, sur lesquels Sophie (alter-echos) et Jean-Paul (qui officie ici-même) préparent un reportage. Nerfititi nous a donc invité à « dîner » chez elle. Plus…
Les sorcières de Detroit
Les sorcières débarquent sur la ville ? Starhawk, en tous cas, est là . Militante féministe, auteure, enseignante, formatrice, permaculturiste, celle qui se définit comme une « sorcière » est à Detroit, accompagnée de Lisa Fithian.
Toutes deux sont des figures de l’action directe non-violente. Elles ont mis leur détermination et leur créativité au service d’une multitude de luttes : mouvement anti-guerre (du Vietnam à la deuxième guerre d’Irak), syndicalisme, justice sociale, féminisme, anti-racisme, etc. Présentes à Seattle, Gènes, Porto Alegre ou encore Copenhague, elles ont également inspiré, directement ou indirectement, des formes de luttes comme Reclaim the  Streets, CIRCA (Clandestine Insurgent Rebel Clown Army, l’Armée des Clowns anglaise, dont le pendant français est la Brigade Activiste des Clowns).
Lisa (entretien à venir sur Mouvements.info) porte un regard enthousiaste sur ce forum, qui nous permet de ne pas oublier que le mouvement des Tea Parties n’est pas le seul mouvement social d’ampleur aux  USA, même si l’attrait des mass-medias pour ces mouvements réactionnaires occulte le dynamise des mouvements progressistes. Une vivacité à laquelle les sorcières venues à Detroit ne sont pas complètement étrangères !
Photo : Jean-Paul Duarte
Come on !
À chaque forum, ou presque, divers réseaux de chercheurs/militants organisent un séminaire sur le forum lui-même, pour discuter de son devenir, de ses limites. Ils réunissent des chercheurs, des intellectuels et des organisateurs des différents forums. Ici, à Detroit, le séminaire s’est étalé sur deux sessions, avec entre autres : Chico Whitaker (l’un des fondateurs du forum, figure incontournable de ce genre de séminaire), Jackie Smith, Michael Guerrero (cf. post précédent), des organisateurs locaux du forum de Detroit, et Michael Hardt (co-auteur de Multitudes et Empire, avec Toni Negri).
J’avais déjà pu rencontrer Michael Hardt à Copenhague (cf. mouvements.info). Detroit fut donc l’occasion de poursuivre les discussions entamées il y a quelques mois sur la question des communs (au cÅ“ur du dernier livre de Negri et Hardt, à paraître prochainement en français chez Stock) : côté FSM, l’un des projets actuels est d’identifier ce que seraient les « communs » aux différents forums : des éléments matériels/techniques (base de données des participants, matériel d’interprétation, sites web) ; humains (réseau d’interprètes et de traducteurs, équipes de développeurs web, etc.) ; et plus abstraits (la manière de poser une question en termes politiques, la conception de l’espace des forums, l’expérience acquise, etc.).
Pour Michael Hardt, les forums sociaux pourraient bien être ce qu’il appelle une « institution des communs » : leur gestion n’est en effet pas spontanée. Elle a besoin de s’appuyer sur des dispositifs concrets, des pratiques conscientes et volontaires. Ne reste plus qu’à traduire tout cela dans la manière dont on organise les forums sociaux… les discussions vont donc sans doute se prolonger !
Photo : Jean-Paul Duarte
Yankee at home !
Michael L. Guerrero est l’un des organisateurs du Forum Social des États-Unis. Présent à Porto Alegre dès 2002, pour le Forum Social Mondial (FSM) et est l’un des animateurs de Grassroots Global Justice (GGJ), la coalition états-uniennes des réseaux et mouvements impliqués dans le forum.
Assez rapidement, les organisateurs du FSM ont poussé les militants US à organiser un forum au sein même de « l’empire ». Ils souhaitaient que ce forum ait lieu au plus vite – avant les élections présidentielles de 2004, pour aider les mouvements à se renforcer et à construire une alternative populaire à Bush.
Mais GGJ a décidé de prendre le temps de préparer le forum, pour s’assurer que la participation soit réellement populaire – plutôt que d’organiser un forum social pour les « happy fews », rompus aux mobilisations internationales.
Prévu pour 2006, à Atlanta, le premier forum social des USA a finalement eu lieu en 2007 : à cause de l’ouragan Katrina, les organisations du Sud-est du pays ont dû revoir leurs priorités.